Tolbiac, jeudi 17 mars, 18 h : grilles, murs gris, vigiles. Fermeture administrative. On nous dit : le bâtiment n’est pas à vous, au revoir. Trois moments de luttes y avaient pourtant été décidés ce jour-là : une assemblée locale, le matin, réunissant tous les étudiant-e-s de Tolbiac, la coordination de lutte inter-universitaire francilienne ainsi qu’une assemblée inter-lutte indépendante.
Cette dernière se voulait un lieu indépendant de rencontre et d’organisation entre tous les individus et collectifs en lutte, un espace de lutte transversal dépassant les étiquettes sectorielles/syndicales/partidaires. Car si nous luttons contre la loi "Travaille !", nous cherchons surtout, partout où nous sommes, à défaire le monde de merde qui la permet et en inventer un nouveau. Le rendez-vous avait largement circulé ces derniers jours : 18 heures à Tolbiac. Aucun de ces trois moments de luttes n’ont été possibles en raison de la décision de fermeture administrative de Paris-I, précisément prise pour tuer dans l’œuf un tel moment hors-étiquette et les possibles qu’il contient, hors du contrôle des bureaucrates apprentis ou confirmés.
Plus d’une centaine de personnes se retrouvent, d’abord au parc de Choisy puis en face des grilles fermées. Que faire ? Vite, une solution. Refusons de nous laisser faire : l’université est à nous, à toutes celles et ceux qui luttent, l’université n’avait qu’à se la fermer plutôt que de fermer. Une porte à l’arrière s’ouvre, on s’engouffre par le parking, l’amphitéatre est à nous. Le directeur du site fait les cent pas dans le couloir et tire la gueule avec sa cravate rouge de travers.
Nous, on fait la teuf dans l’amphi décrépi que quelques inscriptions redécorent, lui qui n’attendait que ça. Le tableau blanc se pare ainsi d’un "Continuons le début" écarlate, qui porte en lui toute la joie rageuse de ce moment, toute la puissance possible de gentes qui décident d’agir ensemble hors des étiquettes et des comparaisons-neutralisations stériles ("C’est comme/mieux/moins bien que le CPE/le mouvement de 1986/le mouvement LRU de 2009, etc.") : on n’apprend pas à commencer !
Quelques détails techniques cependant : comment se barricader correctement, mais surtout comment faire rentrer la centaine de personne dehors, alors que les fourgons de CRS commencent à arriver et encercler le site ? Quelques un-e-s parviennent à escalader les grilles juste à temps, avant que les flics entourent complètement le périmètre et repoussent le reste des gentes plus loin. Il est 18h10, « l’assemblée peut-elle commencer ? ». Tout le monde hurle « oui ! ». A ce OUI rageur résonne un écho casqué qui vient troubler la belle ambiance : les CRS arrivent, petites rangées serrées, et tentent d’ouvrir les portes de l’amphithéâtre. Peut-être veulent-ils prendre un cours de rattrapage en auto-organisation ou en autodéfense populaire ? On tente de rester, et d’un accord commun il n’est pas question que la police vienne empêcher une assemblée de lutte de se tenir.
Alors on maintient les portes fermées avec des barricades de fortune - quelques tables, un tableau, et un câble de liquide extincteur dont de généreuses rasades de liquide anti-incendie sont envoyé dans la gueule des flics, qui tentent de faire passer leurs gros boucliers par la petite porte : ça patauge, ça hurle. Un CRS se casse la gueule et se prend une volée de chaises, de bouteilles et même un gros pétard. À la force pure, ils finissent par débouler, crient, tabassent, compressent, et nous sortent tous par une petite porte. Un sale comité nous accueille. « Profitez, vous êtes filmés » ricane sûrement le major de la promo.
photos prises par Doc du réel
Encerclés en nasse, nous sommes sommés de piétiner sur place. Quelques-unes proposent de continuer l’AG ici, puisque décidément il semble bien difficile de se réunir pour causer politique dans ce pays des « droadelom ».
L’histoire n’est pas finie. Trouvant scandaleuse la tournure des évènements, une quarantaine d’amateurices de rugby entame une mêlée contre les boucliers des gendarmes mobiles dans une partie de la nasse. La charge ouvre un espace entre les deux boucliers. Une quarantaine de personnes peut s’enfuir. Malheureusement, des baqueux postés autour pratiquent alors leur sport préféré : plaquer des gens par terre, les tabasser, les arrêter, les relâcher, puis leur courir à nouveau dessus, les taper, etc. Résultat : un bras cassé, une personne aux urgences avec le crâne ouvert, plusieurs blessés, plusieurs arrêté-e-s, beau tableau de chasse.
Pendant ce temps les alentours de la facs sont progressivement quadrillés de bleus, qui ne se gênent pas pour palper voire frapper quelques jeunes du quartier jugés suspects et/ou trop solidaires. De nombreux badauds assistent, médusés, à l’ensemble de la triste scène depuis le rebord de l’esplanade des Olympiades et des magasins à côtés. Après environ 3/4 d’heure le reste des personnes dans la nasse (une centaine environ) est libéré sans contrôle d’identité.
Progressivement les groupes se dispersent et convergent vers l’esplanade de Paris 7, où un rassemblement à été appelé pour tenir une mini AG de lutte. Environ cent-cinquante personnes se retrouvent, attentives, joyeuses, enragées, pour faire le point sur la journée et construire la suite du mouvement : la prochaine assemblée est appelée pour vendredi à 17 h à Paris 8 dans l’amphi X. Elle sera suivie d’une fête, pour continuer de se connaître et se frotter en dehors des réunions d’organisations.
La répression policière nous a laissé au moins trois messages clairs.
Premièrement : dans la lutte contre cette loi, et plus généralement, pour lutter et s’organiser, la répression et la censure sont immédiates. Fermetures administratives, CRS dans les facs et dans les lieux de travail, l’état d’urgence est super utile pour casser un mouvement social. La police aussi. (Au passage un petit crachat sur l’UNEF qui condamne dans son communiqué ce soir les violences policières... mais aussi « la violence de quelques individus » qui ne faisaient que défendre l’amphi face aux assassins de Rémi Fraisse, Malik Oussekine, Ali Ziri et tous.tes les autres) L’administration de Tolbiac est la seule responsable des blessés. Ils cherchent absolument à éviter tout point de fixation d’un espace de lutte transversal et hors contrôle des gros appareils syndicaux, qui ne sont là que pour négocier à la marge les contradictions intenables du système.
Deuxièmement : ils l’auront. Nous continuerons et nous créerons cet espace, ces multiples espaces.
Troisièmement : le plus vite possible.
Il est évident que l’assemblée inter-luttes condamne toutes les répressions policières, appelle à la libération immédiate des manifestant-e-s arrêté-e-s et est solidaire de toutes celleux qui furent présent-es. Le mouvement prend de l’ampleur, et si l’expulsion fut particulièrement violente, à l’image de la journée, personne ne cèdera à la stratégie de la tension.
Personne ne cédera, et nous gagnerons. Nous étions ce soir nombreux.euses, et le serons toujours plus. Car en frappant fort, à la fois préventivement (fermeture administrative des facs) et en blessant plusieurs personnes lors de la manif et l’occupation, la répression va contribuer à souder d’autant plus les innombrables personnes qui sont peu à peu en train de prendre la rue, tester leur détermination, partager des pratiques de luttes et s’éprouver comme force commune.
La loi El Khomri est la goute d’eau qui fait déborder le vase, déjà bien rempli par l’état d’urgence et la terrorisation anti-terroriste, la loi Macron, la loi sur le renseignement, les menaces d’expulsion sur la ZAD de NDDL, la chasse et les ratonnades de réfugié-e-s à Calais et ailleurs, et de manière générale l’offensive concertée et systématique que le capitalisme mène sur nos vies depuis des décennies. Fermeture ou pas, on va tenir nos AGs, s’organiser, et, promis, vous allez prendre cher.
Le monde ou rien !
Continuons le début !
Toutes et tous à l’AG inter-lutte indépendante vendredi 18 mars à 17h à l’amphi XX de Paris-8. (le reste du programme ici).
Quelques participant-e-s à l’occupation éphémère de Tolbiac le 17 mars.